vendredi 23 octobre 2009

Liberté de parole

Ils étaient tous là, cinq frères et cinq soeurs étaient assis autour de la table à manger. Leur père occupait la place centrale et on avait l'impression, malgré sa petite taille, qu'il était plus grand que tous les autres.


Le père commença son discours ainsi :

"Je n'aime pas qu'on dise que je ne vous laisse pas parler. Parler, vous y avez absolument le droit. Toute ma vie j'ai fait en sorte que vous ne manquiez de rien. Car cela un un pré requis à la bonne parole. Celui qui a froid, qui a faim, ou qui manque d'affection et de sécurité prononcera des mots injustes et mauvais lorsqu'il parle. C'est pour ça que je vous ai toujours procuré soin et aliments. Ainsi, il ne sort de votre bouche que la bonne parole, celle qui plaît à Dieu et par conséquent me plaît à moi.

Si parler signifie dire des mensonges et des calomnies, alors le silence lui est préférable. Mais je sais comment je vous ai éduqués. Je sais que vous avez la maturité nécessaire pour pouvoir parler et dire ce que vous pensez vraiment. Car quel père indigne serais-je si je vous ôtais votre droit à vous exprimer, librement, comme vous le souhaitez ? Je préfère mourir et ne pas voir le jour où vous êtes opprimés par votre propre père.

N'est ce pas que je suis clairvoyant et miséricordieux ? C'est pour cela que j'accepte ce que vous dites. Vous le savez mieux que moi. J'ai toujours été tolérant, mais ce que j'aime au-dessus de tout, c'est ce qu'on me dise la vérité, et rien d'autre que la vérité..."

Un vent de panique agita les dix personnes assises autour de la table. Ils savaient que c'était à leur tour de prendre la parole. Leur père les regarda dans les yeux un par un, guettant le premier qui va ouvrir la bouche. Lorsque ses yeux se fixèrent sur le plus jeune d'entre eux, celui-ci émit une voix tremblante qui fit sur un ton d'imploration presque inaudible : "...Père..."

Ses frères et ses soeurs le regardaient intrigués. Son regard croisa celui d'une de ses soeurs. Elle était à l'autre bout de la table et son père ne pouvait pas la voir. Elle était indignée, on aurait dit qu'elle voulait dire quelque chose à son frère qui était sur le point de parler. Mais elle ne dit rien. Le père prit une voix pleine d'affection et de tendresse et s'adressa ainsi à son cadet : "Mon beau fiston adoré. Voilà que tu veux parler, alors parle, n'aie pas peur. Tu sais que ton père aime ceux qui expriment le fond de leur pensée".

Le cadet prit son courage à deux mains et dit :

"Oui, père, je ne le sais que trop bien. D'ailleurs, c'est pour cela que je prends la parole pendant cette occasion mémorable. Je ne peux en pareille occasion que saluer l'oeuvre à laquelle tu as consacré ta vie. Je ne peux que te remercier, pour ton dévouement et ta tendresse, pour ta clairvoyance et ta sévérité. Et quand bien même tu te fâches contre nous, père, nous savons que tu ne le fais que pour notre bien ! Et ceux qui y voient une sévérité exagérée, qu'ils apprennent à être patients... car le temps leur prouvera la justesse de ta vision. Ils verront un jour les motifs de tes choix, motifs ô combien nobles et valeureux. Et c'est à ce moment qu'ils reviendront vers toi louer ta clairvoyance. Alors moi je leur dis, n'attendez pas que ce jour-là arrive. Vous savez déjà que votre père ne veut que votre bien, alors pourquoi prononcez-vous des mensonges et mettez-vous en doute ses choix ?

Seule la bonne parole, juste et vraie, plais à notre père car seule la bonne parole peut être dite et entendue. Alors cette bonne parole, vous l'entendez aujourd'hui de ma bouche, et elle exprime le fond de notre pensée, à nous tous. Et c'est en notre nom, à nous tous, que je m'adresse à notre cher père pour lui dire : merci Père, et surtout ne change rien. Car seul le mauvais et le vil doit changer. Quelqu'un comme toi, quelqu'un qui a ta clémence jamais il ne doit changer. Je veux t'exprimer l'amour et la reconnaissance en notre nom à tous. Même quand on est loin de toi, on sent toujours ta présence et on voit ton oeil bienveillant qui nous observe jour et nuit. C'est cette présence qui réconforte nos existences et qui nous donne la force de vivre et d'espérer.

Alors profitons de cette occasion pour te répéter notre gratitude et notre reconnaissance, car on ne le dira jamais assez : personne ne se sent seul du moment où notre père veille sur lui."

Les dix personnes autour de la table se mirent à applaudir. La soeur au bout de la table regardait toujours son frère cadet, cette fois avec de la colère dans les yeux. Etait-ce la jalousie ? N'empêche qu'elle applaudissait avec tous les autres. Certains donnaient l'impression d'être plongés dans leurs pensées... d'être complètement ailleurs. Mais tous applaudissaient. Le père hochait la tête dans un mouvement approbateur. Cette reconnaissance de la part de ses dix enfants le rendait fier et satisfait de son oeuvre. Jamais il ne doutera des choix qu'il a fait pour ses enfants. Jamais il n'éprouvera de regrets.

1 commentaire:

subjectif a dit…
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