dimanche 24 juin 2007

Blogueurs engagés, Blogosphère enragée


« La prise de conscience est en marche. Partout des gens s'informent, s'instruisent et prennent connaissance de l'ampleur du problème. Alors moi j'y crois. Ça nous prendra des années, des générations mêmes, mais il faudra bien commencer un jour. »


C'est ainsi qu'un ami fraîchement converti à l'écologie s'adressa à moi pour me convaincre de la pertinence de sa démarche. Inutile de vous dire qu'il travaille pour une société qui participe activement à la pollution de la planète. Ce n’est pas ça qui avait le plus retenu mon attention. En effet, j’avais une autre raison pour être étonné : deux ans plus tôt j'avais entendu exactement le même discours de la bouche d'un autre ami. Mais ce dernier défendait une toute autre cause. Il essayait de me convaincre que l'"éveil" islamique était une réalité et que ce réveil allait nous conduire inéluctablement vers l'harmonie et le bonheur.

L’engagement pour une cause donnée peut avoir différentes significations pour les uns et pour les autres. Pour tout vous dire, personnellement je me méfie extrêmement de l'engagement, qu'il soit politique, intellectuel ou même social.

J'ai à l'esprit l'image de militants communistes français qui pleuraient à la défaite de Georges Marchais aux présidentielles françaises de 1981. De vieux hommes et de vieilles dames sanglotaient tout en jurant de ne pas voter pour la gauche socialiste (ces images sont passées sur une chaîne française voilà presque un an de cela). Je n’aimerais pas être à leur place, ces militants. Je n'aimerais pas goûter l'amertume de la déception après des années de militantisme et d'engagement.

Je ne m'imagine pas dans l’Iran de 1979, militant pour la liberté et voyant mon pays sombrer aux mains des islamistes qui récoltent ainsi le fruit de mon « combat ». Je ne souhaiterais pas non plus être un communiste convaincu dans l'URSS de 1991 ou dans la RDA de 1989.

Je n’aimerais pas m’enfermer dans une idéologie, parce que les idéologies constituent à mon sens une partie du mal dont l’Humanité souffre. Je ne veux pas non plus lier mon histoire personnelle à un destin collectif parce que cela est dangereux. Le destin collectif est par définition incontrôlable, et les foules sont les êtres les plus irrationnels qu’on pourrait trouver sur terre. Au même temps prétendre vivre sa vie en liberté et en dehors de toute communauté est non seulement égoïste, mais c’est surtout complètement illusoire.

Par leur engagement pour le Maghreb, pour la liberté d’expression, contre la censure… les bloggueurs tunisiens ne veulent-ils pas se donner bonne conscience par rapport à des problèmes qui leur tiennent à cœur ? Ces actions ne peuvent-elles pas être récupérées à des fins peu scrupuleuses ? Y aura-t-il au final un réel impact de ces actions sur la réalité ? Ou toutes ces actions resteront-elles un « cri au-dessus d’un abîme » cybernétique que personne ne considère avec sérieux ?

Ces campagnes peuvent être aussi bien des cris de rage et d’exaspération, comme elles peuvent être une marque de luxe intellectuel de quelques personnes coupées de la réalité et à la recherche d’un sens à donner à leur vie.

Je peux tout de même me féliciter que les campagnes n’ont pas pour slogan : « Bloguons pour l’Unité Arabe » ou « Je Blogue pour une Nation Islamique forte ». Tant qu’on n’a pas imposé un cadre idéologique aux gens, ces manifestations restent saines. Mais la dérive idéologique reste à craindre.

Il arrive souvent que dans une société quelconque le rêve des uns devienne le cauchemar des autres. Je m’en suis rendu compte en discutant avec des gens qui, comme mon ami cité plus haut, croient dans l’éveil islamique pour sortir nos sociétés de leur situation déplorable.

Je rêve d’une constitution laïque, d’un pays qui s’accepte sans complexe et qui définit son identité par rapport à son avenir pas par rapport à son passé. Je rêve d’un pays où l’on peut être non-musulman sans se cacher et sans avoir honte. Je rêve d’un pays où les langues se délient non pas pour parler foot, mais pour parler politique. Un pays où musulmans, juifs et chrétiens pratiquent leur culte en liberté, sans se sentir obligés de se haïr les uns les autres. Un pays où l’on peut être gay, agnostique, soufi, hard rocker sans être taxé de je ne sais quoi.

C’est mon rêve, mais c’est peut-être le cauchemar de quelques uns.

Alors oui, je blogue pour la liberté d’expression. J’exprime ma rage tous les jours. Je blogue tous les jours pour le Maghreb. Je blogue tous les jours pour un avenir meilleur, pour une Humanité plus fraternelle et plus solidaire et je blogue aussi pour cette parcelle d’Humanité qui est mon pays.

Mais je blogue à ma manière…


S'engager et rester unique, participer sans être conforme, s'investir tout en gardant ses distances, voilà ce qui peut constituer un bel exercice de blogging !