Je me suis demandé combien d'internautes liront un post intitulé « Angoisses ». Le titre n’est pas accrocheur, mais j’ai eu quelques réactions tout de même. Dans une discussion privée, une lectrice a trouvé que ce post décrivait une « drôle de façon de voir l’existence ».
Je n’ai rien fait, à part exprimer une certaine angoisse du Néant. Une angoisse que certains existentialistes considèrent comme l’essence même de l’homme. Une angoisse qui naît de la conscience de l’absurdité totale de la vie et de l’absence de tout sens.
Woody Allen dit à propos de l’absurde : « [La réalité est] absurde. Dénuée de sens. En cela, elle est foncièrement tragique, avec des moments amusants, à la surface (…). On devient vieux, malade, on meurt. Tout ce qu'on a été, tout ce qu'on a fait aboutit au néant. Bergman est mort, c'est fini. » Je partage cette vision selon laquelle le tragique est le propre même de l’existence, sa vérité la plus profonde. Nietzsche trouvait que c’est exactement ce caractère tragique qui fait que la vie est sainte par elle-même et qui fait qu’elle n’a pas besoin de valeurs supérieures pour lui conférer la sainteté.
Néant, absurde, angoisse, tragique. Je conviens bien que ce soit des mots pas très gais et que par conséquent cette façon de voir l’existence est repoussante, voir effrayante. On préfèrerait de loin des mots optimistes, pleins de vie, de promesses et d’espoir. Autant dire des mots tirés d’une messe religieuse ou bien d’un spot de publicité. Mais notre fuite face au Néant (dans la messe, ou dans la pub) ne le supprime pas. Notre refus à voir l’existence comme elle est ne change en rien la vérité qui veut que l’existence soit un fil tendu entre deux néants.
On se console en disant qu’on aura « un orgasme qui durera soixante-dix ans », ce qui peut être vraie dans une certaine mesure mais pas suffisant. Car cette vision hédoniste de la vie occulte la douleur et la souffrance et essaie de nous faire croire qu’à soixante-dix ou quatre-vingts ans, on a moins d’angoisses face au Néant.
Et que ferons-nous dans ce cas ? Meubler le temps, à la manière de Vladimir et Estragon dans « En attendant Godot » de Beckett. Porter notre rocher, tel Sisyphe, et monter jusqu’au sommet. Mais « il faut imaginer Sisyphe heureux » comme dit Albert Camus. Vivre notre tragédie en hommes heureux. Non pas comme des imbéciles heureux, ignorant leur sort ou l’occultant par diverses distractions, mais en héros conscients de ce qui les attend. Car Nietzsche avait raison : « le héros est gai, voilà ce qui a échappé jusqu’à maintenant aux auteurs de tragédies ».