dimanche 25 novembre 2007

J’ai trouvé la mort séduisante, mais c’est la résurrection qui me fascine

En le voyant, j'ai reculé de deux pas. Il était devant mon ordinateur, en train de taper sur mon clavier. Il avait mis ma chemise rouge (celle qu'il avait toujours préférée). Il s'est tourné vers moi, et a fait mine de sourire.

- Mani ? Je te croyais mort ! Ai-je crié.
- C'est comme ça que tu m'accueilles ?

Je le regardais dans les yeux pendant quelques secondes. Le même regard, les mêmes expressions. J'avais l'impression de me regarder dans un miroir. J'étais ébloui par la ressemblance entre nous deux et m'étonnais de l'avoir si vite oubliée. Mais oui ! Mani, mon alter ego ! Mon côté à la fois obscur et illuminé, la partie de moi que je préfère, ou tout simplement, Moi.

- Je viens t'annoncer une nouvelle, me dit-il.
- Tu reviens parmi nous, c'est déjà ça la nouvelle !
- Ecoute, tu sais bien qu'on va tous les deux reprendre le chemin du blog. Pour moi il n'y a pas de doute à cela. La nouvelle que je viens t'annoncer est d'un autre ordre. Je viens t'annoncer que je ne veux plus changer le monde.
- Et c'est pour ça qu'on rouvrira boutique ?
- Possible, oui. Je sais, il te faut une raison pour reprendre le blog, une vraie. Mais ne t'en fais pas si tu n’en trouves pas, c’est pas si grave. Ce qui t'importe c'est uniquement ton image : comment garder une apparence de cohérence et d'intégrité alors que tu fais des choses contradictoires ? Comment convaincre les autres que tu es un être unique et indivisible, alors que tu es en réalité multiple et morcelé ? La vérité, c’est que tu n'as pas besoin de tout ça. Tu as eu envie de lancer un blog, tu l'as fait. Tu as eu envie de l'arrêter, tu l’as fait aussi. Maintenant tu as eu envie de reprendre, et tu le feras. Le monde est plus simple quand tu ne t'occupes plus de comment les autres perçoivent tes actions. T’imagines ce qui serait la vie si on était obligé de tout justifier ?
- Oui… « Le souci de sa propre image, voilà l'incorrigible immaturité de l'Homme ». Cette phrase de Kundera prend tout son sens…

- Tu peux toujours trouver une explication tu sais. Tu peux par exemple déclarer :

« J'ai trouvé la mort séduisante, mais c'est la résurrection qui me fascine. »

Puis, il me regarde avec un sourire malicieux et me dit :

- Maintenant que je t’ai trouvé une belle formule pour justifier ton absence, discutons d’un sujet sérieux. Je ne veux plus changer le monde, tu comprends ça ?
- Mais pourquoi ? C'est ton séjour parmi les blogo-morts qui t'a fait changé d'avis ?
- Non. J'ai changé d'avis, et je ne suis pas tenu de te donner une raison.
- Et les enfants qui crèvent par milliers ? Et les guerres ? Et la bêtise humaine ? Tu laisses tout ça pour qui ?
- Parce que tu croyais vraiment avoir le pouvoir de changer ça ? Tu te prenais pas au sérieux au moins ? Rappelle-toi Kundera : "Prendre au sérieux quelque chose d'aussi peu sérieux que le monde qui nous entoure, c'est perdre soi-même tout son sérieux".
- Encore lui ! Je vois bien que tu n'as rien oublié. Mais je considère aussi que tu es en train de trahir tes idéaux, nos idéaux.
- "Les idéaux n'ont pas lieu d'exister. Tout ce que nous avons à faire c'est de les laisser tomber et de passer notre chemin"
- Ca doit être Krishnamurti qui a dit ça !
- Presque. L'idée est de lui, je l'ai formulée à ma guise.
- Au même temps un autre indien, Gandhi, disait : "Sois le changement que tu souhaites voir dans le monde". Cette idée de changer le monde ne te séduit plus ?

- Non, elle ne me séduit plus. Exactement comme l’idée d’être mort qui ne me séduit plus.

Nous nous taisons pendant un moment. Je le regardais en imaginant qu'il n'était que l'image d'un rêve et qu'il suffisait d'ouvrir les yeux pour qu'il disparaisse. Je m'efforçais de croire que j'étais dans un bar quelque part dans Paris, au milieu de la nuit, en train de me bourrer la gueule et de faire des hallucinations. Puis, je m'efforçais à croire que j'étais au travail, que j'assistais à une de ces réunions interminables et que je me suis perdu au milieu de mes pensées évasives. Il m'aurait suffi d'ouvrir les yeux pour me réveiller de mes imaginations. Au lieu de ça, je me retrouve encore là, chez moi, en face de lui, à le regarder lui. A me regarder.

- Imagine que l'humanité disparaisse d'ici cent ans...

Il me coupe aussitôt :

- Elle disparaîtra sûrement en moins que ça.

- Admettons. Imagine que le monde des humains disparaisse d'ici un siècle, guerres nucléaires, pollution, épidémies, conneries... les moyens ne manqueront pas. Comment nos enfants et petits enfants nous regarderont ?

- Et comment toi tu regardes ton arrière-grand-père ?

- Je ne l'ai jamais connu... j'ai quatre arrière-grands-pères mais je n'en ai connu aucun, et pire je ne connais même pas leur prénom…

- Tu vois ! Dans cent ans nos arrière petits fils auront la même conversation que nous en ce moment, et mon arrière-petit-fils (si j'en aurai un jour) ne se rappellera même pas de mon prénom, de là à me reprocher de ne pas avoir agi contre les guerres ou contre le réchauffement climatique, je peux te dire que je m’en fous royalement. Mon arrière-petit-fils ne m’empêchera pas d’aller prendre l'avion pour passer mes vacances au Mexique, tant pis pour les gaz à effet de serre. Il sera en train de me maudire alors que je ne serai que poussière, qu'est-ce que ça peut me faire ? Et puis, si l'Humanité disparaîtra, et alors ? Elle l'aura mérité après tout ! Tant pis pour notre gueule à tous. C'est pas parce que toi ou moi on s'est mis dans la tête que le monde doit changer qu'il changera forcément dans le bon sens. C'est pas parce qu'il y a Greenpeace que Bush ira ratifier le protocole de Kyoto. C'est pas parce qu'il y a des humanistes ou des pacifistes qui n’arrêtent pas de gueuler que quelque chose changera dans ce monde pourri. Et c'est pour ça que je te dis : tant pis pour notre gueule, on l'aura mérité. Le tout est de savoir profiter des quelques années qui nous sont offertes sur cette terre, tant qu'il est encore temps.

- C'est affreux. Tu tiens des propos défaitistes et puant l’individualisme. Pour te dire la vérité, je ne te reconnais pas, et je n'aime pas du tout cette discussion.

- Je ne suis que toi. Admets au moins ça. Mes idées sont les tiennes, alors assume-les !

Nous nous taisons encore une fois. Mani se dirige vers la fenêtre, l'ouvre, allume une cigarette et me regarde :

- Ne t'en fais pas cher (...). Je suis toi, tout simplement. Ce qui te dérange au fond c’est que tu n’es pas un, mais plusieurs. Ça fait longtemps que je te le dis : tu es indiscutablement schizophrénique. Ce n’est pas grave après tout. Le tout c’est d’accepter la contradiction, accepter d’être quelqu’un et son contraire. Accepter qu’au sein d’une même vie, d’un seul être, les contradictions vivent et s’enrichissent mutuellement. Accepter de ne pas avoir de contours prédéfinis, de ne pas avoir de frontières. Accepter qu’au sein d’un même Moi survivent plusieurs personnes, en paix et en tranquillité. Accepter de se laisser aller, d’aller loin, et de s’aventurer sans avoir l’obsessionnelle idée de revenir à l’état de départ.

- Tu viens de m'appeler par mon prénom ?

- Oui, je sais, n’en fais pas un drame, je vais le censurer dans la version finale. Regarde, ils sont là. Ils sont en train de nous lire !

- Qui ça ? Les lecteurs ? Tu crois pas qu'on leur doit une petite explication tout de même ?

- Mais non ! Ils n’en ont pas besoin. T'imagines si chaque nouveau-né était obligé de s'expliquer sur les raisons de sa venue dans notre monde ?

- Tu as peut-être raison. Qu’ils s’imaginent ce qu’ils veulent, tant pis. D’ailleurs le post est assez long pour qu’ils ne le lisent pas jusqu’au bout. Nous sommes peut-être en train de parler tous seuls en ce moment même. Ça m’étonnerait pas qu’ils aient abandonné la lecture d’un post aussi décevant.

Puis, en regardant l’écran de l’ordinateur, je lui demande :

- Qu'est-ce que tu nous prépares pour la suite ?

- J’ai plein de posts, j’ai des idées à la pelle.

- Je vois ça, oui. Et ça va tourner autour de quoi ?
- A ton avis ? Ca sera sûrement quelque chose qui parle de religion...
- Toujours le même, mais comme tu es bête Mani !

Et nous sommes partis tous les deux d'un fou rire.

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PS : Remerciements sincères à ceux qui ont assisté aux funérailles : Takkou, Azwaw, Moulin, Leila, Mahéva, Massir, Imed, Témé, Esperanza, l’homme qui marche sur l’eau, Samsoum, Big, Trainspotting, Naravas, Tun-68, Citizen, Nadouille et Malek.

Et en dehors du monde des blogs, merci à elle, à Raspoutine (j’ai hésité aussi à lui donner le pseudo de Zarathoustra), à James et à Debi qui se reconnaîtront. Je demanderais aussi à ce dernier de ne pas aller se faire foutre.

Le look du blog va être refait prochainement.