mercredi 2 août 2006

Mythes mésopotamiens et monothéismes

Un monothéisme moyen-oriental ?

Polythéisme et monothéisme sont deux moments caractéristiques de la dynamique des religions orientales. Il n’est pas donc surprenant de trouver dans le paganisme antérieur au monothéisme les prémisses de l’idéologie du dieu unique.
C’est ainsi que les dieux Mardouk, Nergal, Inanna/Ishtar sont qualifiés chacun comme « n’ayant pas d’égal ».

Le culte du dieu unique a commencé, on le sait, en Egypte par Akhénaton. Dans l’hymne du dieu Soleil on peut lire : « Toi, seul dieu, en dehors duquel il n’existe pas d’autre ». Notons que la négation de l’existence des autres dieux n’est pas inhérente au monothéisme ; En effet, les premiers juifs ignoraient les autres dieux en vouant un culte exclusif à Yahweh (ou Yahvé). Ce qui ne veut pas dire que les autres dieux n’existaient pas pour eux. Tout simplement seul Yahvé méritait obéissance et vénération puisqu’il est le dieu d’Israël et son protecteur (voir Freud, L’Homme Moïse et la religion monothéiste).

Dieux et rois étaient deux notions qui se rejoignaient dans l’idéologie orientale. C’est ainsi qu’on voit des rois terrestres s’attribuer des épithètes divins : Seigneur des seigneurs, de tous les humains, de l’univers, de tous les pays… Ces épithètes sont à l’origine ceux des dieux. L’interférence entre le roi et le dieu tétulaire est admise par les mésopotamiens sans qu’il y ait une véritable identification. Cette vision du pouvoir n’est pas sans rappeler le statut du prophète dans les religions monothéistes.

Dans une guerre, le dieu de la cité victorieuse assimile les dieux de l’autre camp. Il s’approprie alors leurs fonctions et leurs qualités, de sorte que chaque guerre s’accompagne par une réforme monothéiste.
L’accumulation des épithètes atteint son paroxysme dans les religions monothéistes, où le dieu unique monopolise les pouvoirs et les qualités des autres dieux.
Notons enfin que cette appropriation peut expliquer par exemple les Beaux Noms d’Allah, qui sont à rapprocher des Beaux Noms de Mardouk. Le dieu jaloux d’Israël tient peut-être cette jalousie de Namtar, le dieu babylonien qui a infligé l’Epidémie aux hommes.

Influences mésopotamiennes :


Notons tout d’abord que le patriarche Abraham est né vraisemblablement à Ur, c’est-à-dire en Mésopotamie. La déportation des juifs à Babylone en 586 par Nabuchodonosor II a certainement permis un échange et une influence mutuelle. Des études affirment que la vie après la mort n’est apparue dans la pensée religieuse juive qu’après le contact avec les religions perses (Zoroastrisme en l’occurrence) imprégnées déjà par le Jugement Dernier et l’existence de l’âme.

Il est aussi possible d’établir un parallèle entre le personnage mythique de Gilgamesh et celui d’Adam : tous deux ont une connaissance du bien et du mal. Tous deux ont cherché l’arbre de vie et ont échoué.

L'Épopée de Gilgamesh est issue de plusieurs légendes qui ont été rassemblées en un récit unique rédigé en langue akkadienne mais seuls quelques fragments — plus de six cents vers — nous sont parvenus.

Terrassé par la mort de son ami Enkidu, Gilgamesh erre et vagabonde. Il cherche l’arbre de la vie dans le pays des Cèdres où il doit combattre un le gardien de la forêt, un serpent selon certaines versions. Ces éléments de récit se retrouvent dans le Coran : La mort d’Abel a imposé à son frère d’être errant et vagabond. Abel ne savait pas comment inhumer son frère, alors que le héros babylonien a refusé d’enterrer son ami Enkidu. L’arbre de vie se trouvait à l’est de l’Eden dans les deux récits. Le personnage du serpent ainsi que l’existence d’une femme (Eve/Inanna) vient accentuer ces ressemblances.

Notons aussi que les dualités Gilgamesh/Enkidu et Abel/Caïn traduisent toutes les deux un duel nomade/sédentaire.

La quête de la vie éternelle, Gilgamesh va la chercher auprès du seul homme qui l’a obtenu : Uta-napishti, le seul survivant du Déluge mésopotamien ; Il est d’ailleurs frappant de voir à quel point le récit mésopotamien du Déluge se rapproche de celui adopté par les monothéistes en général ; Enki, voulant punir l’humanité pour sa multiplication, décida de la faire périr. Il conseilla à son protégé Uta-napishti de se faire une embarcation et d’y regrouper de toutes les espèces. Après le Déluge, ce héros est promu à l’éternité et est placé à l’est de l’Eden, là où Gilgamesh vient le chercher. Dans certaines traditions islamiques on affirme que Noé a vécu près de mille ans.

Le Déluge :

Les récits du Déluge diffèrent selon les versions. Dans l’une de ces versions qui date du XIIIe siècle av. J.-C., le héros s’appelle Atram-Khassisum. Ce « familier » d’Ea est à reprocher avec le patriarche biblico coranique Abraham. Tous deux représentent en effet l’explication mythique des origines de la civilisation qui se construit à partir d’un acte fondateur entre un sage et un dieu.

Un autre héros mésopotamien s’apprête à un tel parallèle avec l’histoire du premier homme, Adam. Il s’agit des mythes se rapportant au personnage d’Adapa. A part la ressemblance homophonique, les deux histoires se croisent étrangement. Ce sont deux sages qui ont accès à la connaissance du bien et du mal, qui ont des relations privilégiées avec les dieux et qui ont été privés de la vie éternelle à cause des fautes qu’ils ont commises.

Il ne s'agit là que d’un bref aperçu de ce que peut être la ressemblance entre les anciennes religions de l'Orient et les religions monothéistes. Le Moyen-Orient a vu naître et prospérer une des premières civilisations au monde qui reste une des plus importantes même aujourd’hui. Les ressemblances évoquées dans cet article entre mythes mésopotamiens et mythes monothéistes viennent montrer que les religions quelles qu’elles soient s’inscrivent dans une continuité historique et ne peuvent être dissociées des contextes de leurs apparitions.

BIBLIOGRAPHIE :

[1] SFAR Mondher, La Bible, le Coran et l’Orient ancien

[2] BOTTERO Jean, Naissance de Dieu, la Bible et l’historien

[3] BOTTERO Jean & KRAMER Samuel-Noah, Lorsque les dieux faisaient l’homme, mythologies mésopotamiennes

[4] FREUD Sigmund, L’Homme Moïse et la religion monothéiste

[5] Encyclopédie ENCARTA 2004

//Cet article fait partie d'une longue recherche personnelle que j'ai effectuée sur les religions en général et celles monothéistes en particulier. D'autres articles suivront...

dimanche 30 juillet 2006

La religion selon Freud

1. L’enfance ou le paradis perdu :

Comme beaucoup de mammifères, l’être humain vient au monde inachevé. Physiologiquement, il est incapable de parvenir à ses besoins tout seul. Un petit d’homme ne peut ni marcher, ni manger, ni faire quoi que ce soit tout seul. Heureusement qu’il y a deux êtres qui veillent sur lui : les parents. Lors d’une grossesse externe il achève son développement. Cet état produit une première phase de dépendance physiologique.

Cette dépendance physique s’accompagne forcément par une dépendance psychique vis-à-vis des parents. Cette dépendance a un envers, celui de la croyance en la toute-puissance des parents, qui sont alors représentés comme des géants (ils le sont physiquement) ou des magiciens (car l’ont croit qu’ils savent tout et tout faire). L’enfant se sent protégé et aimé par cette bienveillante puissance. Pour l’enfant les liens de causalités sont souvent attribués aux pouvoirs magiques des parents. Cette perception ne va pas disparaître totalement à l’âge adulte.

Pendant cette phase, le Moi n’est pas perçu comme indépendant du monde extérieur. Il se peut que ce sentiment dit « océanique » (le Moi et le monde ne font qu’un) ressurgisse dans la vie d’adulte et soit à l’origine de nombreuses expériences spirituelles.

2. L’âge adulte et le besoin de croire :

Avec l’âge, l’enfant gagne en autonomie. C’est là qu’apparaît une sorte de nostalgie. En effet, un envers de l’indépendance se constitue autour du souvenir de ce temps premier fait d’amour et de soins, s’accompagnant du sentiment de perte (telle une Chute), perte de l’enfance et de l’infantile, chute hors du monde du merveilleux, des contes de fée, etc. L’on est animé par une quête d’une Utopie, qui n’est d’autre qu’une tentative de retrouvailles du Paradis Perdu de l’enfance. Ainsi comme dit Brecht, l’utopie c’est croire pouvoir changer le monde, c’est-à-dire, en fait, retrouver le sien.

A l’âge adulte, la vie se complique. Freud nous a appris que la vie psychique ne peut être que conflictuelle. La subdivision du psychisme en Moi, Surmoi et ça fait que l’individu vit une éternelle négociation entre ses désirs et la réalité. Selon les mots de Freud : «Telle qu'elle nous est imposée, notre vie est trop lourde. Elle nous inflige trop de peines, de déceptions, de tâches insolubles. Pour la supporter, nous ne pouvons nous passer de sédatifs». L’enfance devient un âge rêvé où tout y était parfait.

Selon Freud, la religion tirerait alors sa force de sa promesse de retrouvaille, de retour à l’état supposé heureux de l’enfance. De même, la promesse de Vie Éternelle est celle d’une vie d’avant le temps, d’avant la séparation de l’enfance.

Ainsi, le besoin de croire serait un désir nostalgique de retrouvaille du temps de la dépendance (fantasme du ventre maternel, d’être un dans le tout, la métaphysique, etc.)

Mais ce besoin se heurte à la pulsion de vie. Car cette pulsion pousse à l’écart, à la séparation, la différenciation. C’est pour ça qu’elle constitue une source d’angoisse. Eros devient donc l’ennemi, le diable, la tentation. Mais ce refoulement est nécessaire, au mois pour la société et non l’individu. Il est dit civilisateur car il épargne à la société le déchaînement des pulsions individuelles destructrices.

Les manifestations du désir nostalgique de l’enfance dans la vie quotidienne sont nombreuses :

  • la mélancolie (« l’enfance, c’était le bon temps ! », mais on oublie les cauchemars, les peurs, les vécus d’abandon, etc.) ;
  • la culpabilité (« je suis nul, je me suis fait chuté, incapable de créer mon monde ») ;
  • le ressentiment (« le monde est moche, pourri, et de plus en plus ! Ils m’ont fait perdre mes illusions ou mes idéaux, ils m’ont jeté hors de la vie, etc. »).

Les tentatives de retrouver cet univers aboutissent par fois. Leur succès peut se voir dans le fait de :

  • retrouver ce qui est pensé après-coup comme ayant été un Eden ou Nirvâna
  • au plan psychique, retrouver le monde de l’infantile, celui des magiciens, des Géants et des dieux
  • retrouver une masse ou une grégarité, un groupe (familial), une institution ou un État (la « mère patrie »...)

Ce qui offre un sentiment retrouvé de protection face à un environnement hostile (la nature et ses tempêtes, les humains et leur violence, etc.)

Mais finalement, ce qui est visé et espéré comme étant devant soi est, en fait, notre passé, re-projeté.

3. Le complexe d’Œdipe dans tout ça ?

Pour illustrer l’importance de ce complexe dans la formation du sentiment religieux, on va reprendre un exemple donné par Freud de la conversion d’un médecin. Appelé à disséquer une vielle dame qui venait de mourir, ce jeune médecin se dit que si dieu existe, il n’aurait jamais permis qu’une dame au visage si doux et ravissant meure. Mais une voix dans son âme l’invite à réfléchir à la question. Finalement, dieu lui révèle son existence par des signes et des preuves, dit-il.

Pour Freud, le médecin a rétabli un lien direct entre cette dame et sa propre mère. Le complexe d’Œdipe a ressurgi dans son inconscient. La réaction immédiate a été une révolte contre le père et un désir de l’anéantir.

C’est là que le Surmoi intervient en suscitant un fort ressentiment de culpabilité. Cette culpabilité se transforme aussitôt en soumission, c’est-à-dire une croyance à Dieu le Père dans le champ de la conscience.

Ainsi Freud nous présente un mécanisme de conversion. Un mécanisme qu’il juge si simple et si transparent !

4. Les rites religieux et leur signification psychologique :

Grâce à des déplacements de libido et à la sublimation des pulsions, certains sont capables d'obtenir des satisfactions délicates et élevées et une somme suffisante de plaisir dans l’activité religieuse. Plaisir moins intense que la satisfaction assurée par la satisfaction des désirs pulsionnels primaires, mais beaucoup plus indépendant du monde extérieur.

Freud établit un parallélisme entre les actes obsédants des névrosés et les rites religieux. En fait ils sont tous exécutés dans un ordre précis et suivent des règles strictes. L’omission d’un détail lors de leur exécution peut provoquer une peur inexplicable.

Néanmoins, il existe quelques différences notamment vu la diversité des actes obsédants par rapport aux rites. Ceci s’explique en partie par le caractère privé des névroses, qui restent liées à l’histoire personnelle du malade. D’où par exemple l’absence du symbolisme dans les actes non religieux. Mais pour Freud, ce symbolisme existe et au contraire des rites religieux, il n’est pas à mettre en évidence.

La psychanalyse s’attarde aussi sur le lien de la sexualité et de la religion. En effet, on peut retenir par exemple que l'excitation religieuse est une excitation sexuelle dissimulée. Et que l'homme religieux par la mystification de son excitation, rejette sa sexualité. L'extase religieuse n’est donc qu’une compensation de l'excitation végétative orgastique.

Sur les religions, 3 livres de Freud s'imposent :

- L'Avenir d'une illusion

- Malaise dans la civilisation

- L'Homme Moïse et la religion monothéiste

Il y a aussi Totem et Tabou, que je n'ai pas encore eu l'occasion de lire.

vendredi 21 avril 2006

Une petite pyramide sur une plage dorée

Et si, finalement, nos blogs et nos sites perso n'étaient que de petites pyramides sur une plage dorée ? Une tentative d'affirmation de soi, une manière d'exister et un "cri au-dessus d'un abîme" ...



Quand les anciens égyptiens ont bâti les pyramides, ils savaient bien que ces édifices ne seraient pas leur dernière deumeure. Ils savaient que leurs dépouilles allaient finir dans le sable chaud du désert de Gizeh, pour les plus chanceux. Car nombreux étaient ceux qu'on n'enterrait même pas et dont la chair profitait à la faune sauvage.


Les millions de dévoués savaient une chose et oeuvraient pour l'accomplir : leur Pharaon doit poursuivre sa vie après sa mort dans les meilleures conditions possibles. C'est ainsi aussi que eux aussi seront ressuscités à leur tour. Une fois dans l'au-delà, le Pharaon bien-aimé fera en sorte que son peuple fidèle le suive dans le royaume des morts.

Les anciens égyptiens désiraient l'immortalité et avaient besoin de croire en quelqu'un qui pourra les protéger et leur garantir une vie meilleure après la mort.

De nos jours les gens ne bâtissent plus des pyramides. En tout cas pas assez grandes que celle de Gizeh. On ne veut plus croire qu'un seul homme, aussi puissant et prestigieux soit-il, puisse nous promettre la vie éternelle si on bâtissait une pyramide pour lui.

Notre monde moderne est un monde où chacun se prend pour un Pharaon. Chacun essaie de construire sa pyramide tel un gamin sur une plage dorée. Et tels des gamins sur une plage dorée, les gens se bousculent, piétinent sur les pyramides des autres, jouent, se marrent, se disputent...Chacun espère en secret que sa pyramide sera la plus belle et qu'elle restera encore debout longtemps après qu'il ait quitté la plage.

Et si, finalement, nos blogs et nos sites perso n'étaient que de petites pyramides sur une plage dorée ? Une tentative d'affirmation de soi, une manière d'exister et un "cri au-dessus d'un abîme" pour emprunter une expression de Nietzsche...