Le langage crée l’illusion de l’unité et de la multitude. Dans toutes les langues du monde une distinction systématique est faite entre le singulier et le pluriel. Cette distinction n’est pas uniquement artificielle, plaquée sur la réalité par notre intellect, mais elle est aussi et surtout fausse. Fausse car rien ne nous permet de dire que l’unité et la multitude appartiennent au monde de la Vérité, si on suppose qu’un tel monde existe.
L’illusion de l’unité trouve peut-être son origine dans notre vision égocentrique du monde. Erigé en centre du monde, le Moi est unique et indivisible, ou c’est comme ça qu’on le voit. C’est à peu près la seule manière possible de le percevoir, même si la vérité est toute autre. La vérité, c’est que le Moi, comme Freud nous le dit, est multiple, et cette multiplicité n’est pas uniquement de la richesse et de la diversité au sein d’un même tout cohérent. Cette multiplicité est aussi faite de contradictions entre éléments inconciliables. L’unité du Moi est donc illusion, à moins d’aller chercher un autre sens de l’unité qui inclurait des dualités faite chacune d’un concept et de son opposé. Une unité faite de dialectique hégélienne, donc purement conceptuelle.
L’extrême pauvreté des renseignements que nos cinq sens nous fournissent à propos du monde qui nous entoure ne nous laisse aucune issue sauf de recourir à cet artifice qui consiste à parler de plusieurs choses comme si on parlait d’une seule. Une lettre est une unité. Un mot aussi. Une phrase, constituée de plusieurs mots, chacun constitué de plusieurs lettres peut aussi être considéré comme une unité. Ce sont autant de niveaux de découpage de la réalité, des échelles de l’observation, sans lesquelles l’intellect humain se retrouve incapable de rendre le monde intelligible. Cette nécessité de d’une échelle d’observation se retrouve aussi dans le domaine de la science. Impossible à ce jour de concilier l’infiniment petit et l’infiniment grand. Impossible d’observer et de décrire un phénomène sans le « discrétiser », le découper en unités élémentaires en deçà desquelles on convient que rien n’existe, car rien n’est observable.
C’est peut-être là-dedans que réside le drame de l’être intelligent ; limité par l’expérience sensorielle, il a créé les langues, qui en deviennent aussitôt des pièges, puisqu’elles entretiennent l’illusion d’une contradiction fondamentale entre l’unité et le multiple. Pour couronner le tout, l’être intelligent a placé les mathématiques (forme abstraite la plus aboutie de l’activité intellectuelle) comme voie royale pour expliquer le monde. On oublie au passage que ces mathématiques ne sont rien d’autre que la forme structurée et abstraite de notre expérience primitive avec le singulier et le pluriel. En aucun cas elles ne pourraient nous renseigner sur ce qui est Vrai.
4 commentaires:
Bonjour, là cher mani tu mets la barre à des niveaux aussi exrêmes que le propos développé dans ton post à chacun de se placer par rapport à cette barre, intangible pour certains, et si proches pour d'autres, en fait rien n'est acquis à part notre capacité à être dans le questionnement perpétuel qui n'a de finalité que de prouver que nous sommes un et multiple c'est à nous de saisir la richesse de la multitude et l'indigence falagrante de l'unicité. Bon retour Mani.
J'admire ton courage mani :-) En quelques lignes, tu nous expliques -en résumant- que les efforts de nos esprits les plus brilants sont et ont conduit à une manifestation de l'égocentrisme humain!
La langue est un carcan invisible limitant la pensée, l'esprit humain est incapable de cerner la multitude et essaie par abstraction itérative de retomber sur quelque chose d'unique (feuille, arbre, plante, être vivant, matière etc.) Je suis capable de suivre le raisonnement et même d'y adhérer, mais on conviendra ensemble qu'il n'y a pas d'alternative, puisque, jusqu'à preuve du contraire -et malheureusement peut-être- on est ... humain!
Enfin, mais c'est un autre sujet, je ne partage pas ta conviction, à peine voilée, en l'existence d'une vérité, en tout cas d'une vérité qui nous serait accessible. Je commence à entrevoir ce que tu appelles spiritualité sans religion :-)
Bonjour les amis,
Au moins mnt je sais que ce genre de textes trouvent des lecteurs et suscitent des réactions ! Merci !
@ Azwaw : j'essaie de publier ce que j'ai envie de publier et de ne pas laisser la blogosphère imposer son agnda sur mon blog. Si ça n'intéresse personne alors tant pis, si ça intéresse certains alors c'est vraiment cool !
C'est ce questionnement perpétuel dont tu parles que je voudrais entretenir, pour ne pas succomber à la banalité des choses ordinaires et des convictions infondées.
@ Moulin : Je pense qu'il y a un malentendu : ce que je voulais dire c que le fait d'avoir une conscience de soi (ce que j'ai appelé "égocentrisme" mais le terme est mal choisi) conduit à intensifier le sentiment d'être UN (sentiment qui peut-être est tout à fait illusoire). Cette expérience primitive avec le Moi unique et unitaire nous conduit à lire les objets qui nous entourent comme étant des "unités".
"il n'y a pas d'alternative", oui, y en a pas. Mais le but c'est pas d'en trouver mais de se rendre compte de la limitation du champ des connaissances dûe à la limitation des moyens d'y accéder. Ceci dit, je considère la méca quantique et la relativité comme des "dépassements" spectaculaires de cette condition, et c'est pas les seuls exemples.
Enfin, "la vérité est un pays qui n'a pas de chemin", dixit Krishnamurti (encore lui !). Dire que la vérité existe et est inaccessible et dire que la vérité n'existe pas sont pour moi 2 postulats équivalents.
Au plaisir !
Le langage est un produit du cerveau humain. Il est à l'image de la logique humaine. La logique humaine "utilise" l'expérience (sensorielle) et la traduit en concepts abstraits. L'illusion de l'unité ne vient pas de notre unicité ou de notre "centrisme" mais c'est exactement le contraire.
En fait, le méchanisme de pensée humain qui engendre cette illusion (une itération d'abstractions pour simplifier) est une des bases du raisonnement humain primitif. On pense à UN arbre, UN chat et non pas à des atomes, des molécules ou bien des cellules... Ce méchanisme a engendré des notions ou des illusions comme l'unicité du moi et son centrisme.
Autre chose, la logique est un produit du cerveau humain. Cependant, le cerveau humain est aussi un produit du monde ou de la nature. Il est donc "à son image". La logique nous donne la "vérité" au sens de la "validité". Elle nous donne au moins une projection de la "réalité".
Je le redit encore une fois. Du moment qu'elle est un produit du monde, la logique ne déforme pas mais projette. Il en est de même pour les sens (D'ailleurs, il est beaucoup plus simple de voir ce que j'entends dire avec les sens). Ainsi, en supposant que l'espace complet perceptible par le sens de la vue est celui d'un être humain normal; la perception des couleurs d'un daltonien n'altère pas le "réel" mais donne seulement une projection de ce réel. etc.
Mi bon, somehow, je pense que les notions de singulier et de pluriel comme tu les présentes sont très "overrated".
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