"Est-ce que vous avez arrêté de frapper votre femme ?"
C'est en ces termes qu'un juge s'adressa à une personne accusée d'avoir frappé sa femme. Cet accusé se trouve d'un coup pris dans un pseudo-choix entre deux pseudo-alternatives : soit il frappe encore sa femme, soit il l'a frappée dans le passé mais il a arrêté de le faire. Cet exemple cité par Paul Watzlawick dans "Le Langage du Changement" (livre très pédagogique par ailleurs) illustre bien ce type de contradictions qu'on rencontre tous les jours dans notre vie. Ces pseudo-alternatives nous mettent dans l'embarras le plus total, et si l'on est pas capable par soi-même d'opérer un changement de cadre, cela peut nous attirer des ennuis et nous induire en erreur.
Qu'il réponde oui ou non, l'accusé se trouve de facto admettre avoir fait subi des violences à sa femme. La réponse adéquate serait donc : "Monsieur le juge, je n'ai jamais frappé ma femme". Mais cela n'est pas une réponse à la question, c'est une remise en cause de la légitimité de la question. Sachant que c'est un juge qui la pose, on s'imagine mal le pauvre accusé faire une telle réplique. Il y a des chances que le juge fort de son autorité l'oblige à répondre par oui ou par non, et donc dans tous les cas, l'obliger d'admettre le bien-fondé de l'accusation.
Nous nous trouvons souvent à la place de cet accusé, face à un choix qui n'en est pas vraiment un. La prétendue rationalité qui régit nous discussions et nos échanges nous maintient dans l'illusion de devoir faire un choix entre deux alternatives (ou trois ou plus). Ceci n'exclut pas seulement les autres alternatives qui peuvent par ailleurs exister, mais aussi définit un cadre théorique sous-entendu qui reçoit implicitement l'approbation silencieuse de celui qui accepte de se plier à ce genre de jeu.
Méfiez-vous des gens qui parlent en disant : soit (...), soit (...), ils cherchent sûrement (volontairement ou involontairement) à vous faire adhérer à leur cadre de référence. L'opposition entre deux adjectifs, deux mots, deux notions abstraites laisse supposer que rien n'existe en dehors de ces deux choix. Exemple : mon collègue me dit en parlant d'une fille que nous connaissons tous les deux : "Elle n'est pas grosse, elle est belle". Cela exclut de facto la possibilité qu'elle soit grosse et belle au même temps, ou mince et moche au même temps. Mais le cadre de référence de mon collègue (formaté par ailleurs par des années de matraquage publicitaire) ne peut concevoir la beauté que dans la minceur et associe donc ces deux notions, comme il associe "moche" et "grosse". Je peux essayer de lui démontrer que la fille en question est grosse et belle à la fois, ce qui revient à dire que les deux termes qu'il oppose peuvent être appréhendés d'une façon complètement décorrélée. Mais cela viole les règles implicites qu'il s'est imposé dans son "image du monde" et déconstruit son discours fondé sur ses présupposés esthétiques.
Paul Watzlawick donne des exemples issus de la psychothérapie qui vont dans le même sens. On peut aussi trouver des exemple en politique : une affiche de propagande à l'époque nazi en Allemagne demandait aux allemands s'ils préféraient le communisme ou le nazisme. Comme s'il n'y avait que ces deux alternatives-là. Des plaisantins avaient alors écrit en bas de l'affiche : "patate ou pomme de terre ?" !
Sur la blogosphère tunisienne il existe beaucoup d'amalgame de ce type. On nous présente des alternatives du type : "String ou Hidjab ?", "Musulman ou néo-conservateur ?", "pro-Bush ou pro-Ben Laden ?"...et j'en passe et des meilleures. J'ai lu récemment un post dans ce sens. Je le commenterai bientôt car il mérite à lui seul une analyse à part.
Cette opposition peut encore être illustrée par l'opposition archi-classiques des croyants et des athées. Les premiers on croient que Dieu existe parce qu'il existe des preuves de son existence. Les seconds considèrent par contre qu'on peut démontrer l'inexistence de Dieu.
Illustration de la contradiction Dieu existe / Dieu n'existe pas
(le formalisme est de Paul Watzlawick, l'exemple est de moi)
(le formalisme est de Paul Watzlawick, l'exemple est de moi)
Celui qui cherche à trouver sa voie spirituelle se trouve confronté à l'alternative suivante : soit Dieu existe, soit Dieu n'existe pas. Ce qui veut dire qu'il doit être soit dans une bulle, soit dans l'autre. Ce choix laisse dans l'embarras bien nombre d'individus qui passent des années à chercher Dieu désespérément. Vu que les indices de son existence rivalisent en impertinence avec les indices de son absence (en tout cas pas de preuves tangibles dans un sens comme dans l'autre), bon nombre de gens retournent le problème dans tous les sens pour se rendre compte à la fin de la vanité d'une démarche fondée uniquement sur le raisonnement. La forme trop rationnelle de la question (soit A, soit B) exclut toute alternative tierce, du fait des lois de la logique si bien énoncées par Aristote. Et nous continuons à chercher, malgré tout, à confirmer ou infirmer une des deux alternatives avec l'intime conviction que même si on ne trouve pas, seule une des deux propositions est vraie et cela peut être démontré.
Pour sortir de ce cercle vicieux de pseudo-choix on peut refuser le jeu en dévoilant sa règle implicite. Cette règle implicite dit : l'existence de Dieu et donc son absence peuvent être démontrées par un raisonnement rationnel et rigoureux. Quand on refuse cette règle, on se trouve complètement "hors-jeu" et on ne joue plus à qui trouve l'argument le plus convaincant. On se trouve ailleurs, car on croit fermement que l'existence de Dieu ne peut être ni infirmée, ni confirmée.
L'agnosticisme est donc un refus d'entrer dans le jeu des arguments et contre-arguments. L'existence de la deuxième grande bulle nous évite le choix pseudo-rationnel entre deux alternatives. Dans cette nouvelle position on retrouve bien les agnostiques qui sont désormais non plus à mi-chemin entre les croyants et les athées, mais complètement ailleurs. Mais on peut tout à fait imaginer que dans ce grand groupe d'agnostiques certains choisissent de faire un choix arbitraire : devenir athée ou devenir croyant, mais tout en se refusant toute explication logique et rationnelle de ce choix, puisque rien n'est démontrable (La "boucle de l'agnosticisme" peut être itérée à l'infini, ainsi on peut être agnostique sur la démontrabilité de l'existence de Dieu, et aussi sur la démontrabilité de la démontrabilité de l'existence de Dieu. Vous suivez toujours ? Enfin bref, c'est pas trop le sujet ici...).
Dans cette nouvelle bulle de l'agnosticisme peuvent donc se trouver des croyants. Mais ces croyants ne se doutent pas que leur croyance en Dieu ne vaut guère plus que leur croyance en une théière qui gravite autour de la planète Mars (l'idée d'une théière qui gravite autour de Mars est de Bertrand Russel). Il sont en effet en dehors de tout jeu qui consiste à "démontrer" quelques chose. Par voie de conséquence il ne peuvent considérer cette croyance comme vérité absolue et ne peuvent contraindre les autres à croire comme eux.
Ceux qui ont choisi de ne pas croire par contre, et il peut y en avoir dans ce groupe aussi, ont fait le choix (arbitraire, infondé et complètement irrationnel) de ne croire en aucune théière qui graviterait autour de Mars.
2 commentaires:
Ton texte me rappelle un sketch d'anthologie de Pierre Desproges intitulé Que choisir ? dont voici un extrait, le reste ne pouvant pas forcément être apprécié par tous, sorti de son contexte :
"Tout dans la vie est une affaire de choix. ça commence par la tétine ou le téton ; ça se termine par le chêne ou le sapin. Et puis d’ici à là, de sa naissance à sa mort, l’homme est en permanence confronté à des choix.
Mais que choisir ? Fromage ou dessert ? La bourse ou la vie ? La cigale ou la fourmi ? Le sabre ou le goupillon ? Jacob ou Combaluzier ? Labourage de crâne ou pâturage de dents ? La gauche ou Mitterrand ? Un baril de merde ou deux barils d’une lessive ordinaire ? Eh ben, je ne sais pas. Je suis dubitatif."
كيف العادة عندك ما يخرجش الواحد من غير ما يتعلم حاجة جديدة ..
عندي ليك سؤال /اناهو أرزن الفيل و إلا الزرافة أطول ؟ ٪ )
شكراً على البوست ماني..
Enregistrer un commentaire