Une tunisienne a demandé une fatwa au mufti de Tunisie pour avoir un avis sur sa répudiation trois fois par son mari. Le mufti répond qu'aux yeux de la loi divine elle n'a plus le droit de rester avec son mari. Certains s'insurgent. Ils trouvent cela indigne d'un pays moderne comme le nôtre.
Pourtant, le rôle d'un mufti, c'est quand même de faire des fatwas, non ? Et puis, regardons le bon côté des choses, la pauvre dame s'est adressée au mufti de Tunisie, elle n'a rien demandé à Al-Qaradawi ou je ne sais quel autre charlatan. C'est déjà pas mal qu'elle ait le réflexe de demander au mufti de la République. Le drame se produit quand un tunisien ou une tunisienne demande aux cheikhs du pétrodollar des précisions sur la couleur réglementaire du voile ou la longueur recommandée de la barbe.
Dans cette affaire il ne s'agit pas d'un divorce mais d'une répudiation. Peut-être en arabe la distinction est difficile à faire entre les deux notions, car le même terme (talaq) est à ma connaissance utilisé dans les deux cas. Répudier et divorcer sont deux actions complètement différentes au regard de la loi. Et je crois savoir que la répudiation est exclue de la législation tunisienne depuis belle lurette, ce qui par ailleurs de nature à rassurer la dame sur son droit garanti par la loi de retrouver son mari et ses enfants.
Celui qui répudie ne se marie pas, il nique ("nakaha", verbe consacré dans la littérature théologique). Celui qui répudie une femme en a encore trois dans le stock. Il changera juste le planning hebdomadaire de ses tournées nocturnes. Celui qui répudie n'est pas un citoyen, c'est un membre de la communauté des croyants. Celui qui répudie ne s'incline pas devant une loi terrestre faite par les hommes, il n'obéit qu'aux lois célestes exprimées par l'intermédiaire des mollahs, muftis, cheikhs et autres barbus.
En Tunisie, en 2008, la norme est de divorcer, et non de répudier. Merci Taher Haddad. Merci Bourguiba. Merci à tous les autres inconnus que l'histoire a oubliés.
Si je suis en train d'attaquer l'islam, ou de blesser les tendres sentiments religieux de quelques centaines de millions de gens, alors je vous présente mes plates excuses. Je n'entends porter atteinte à personne en exprimant ma rage.
Admirez plutôt cela : sur Hannibal-TV, un vendredi après-midi, quelqu'un nous annonce : "Une femme ne doit pas jeûner sans l'accord de son mari, car ce dernier a le droit en tout moment de jouir d'elle. Elle doit demander sa permission". Voilà le genre de modernité que nous vend Hannibal-TV. Voilà comment on éduque nos enfants, pour les protéger des cheikhs obscurantistes du golfe. J'aurais aimé entendre dire de la bouche de la même personne (élégante par ailleurs, jeune, costard cravate, chapelet à la main) : "un homme ne peut pas jeûner sans l'accord de sa femme, car cette dernière a le droit en tout moment de jouir de lui". Une femme jouit de son mari ? Blasphème ! Ça aurait fait un tabac, et ça aurait été marrant. On saura si le machisme dans notre société repose réellement sur un substrat religieux, ou s'il nous est tombé du ciel (sic).
Voilà ce que l'on peut entendre de nos jours, chez nous, en Tunisie :
"Couvre-toi ma sœur !" dit un inconnu à une passante.
"Dieu nous guidera tous sur la bonne voie", dit un oncle à sa nièce qui vient de mettre le voile, tout en regardant en direction de sa petite sœur qui encore les cheveux en l'air.
"Je fais la prière du soir à la mosquée, tu viens ?" me lance mon cousin.
"Quand feras-tu la prière comme tout le monde ? Quand reviendras-tu sur la bonne voie ?"
"Que Dieu la garde ! Elle s'est voilée. Je la félicite !"
Je sens qu'on va finir par vivre dans un monde faits de filles ninja :
On aura du mal à distinguer Cyrine de Manel. On les confondra toutes les deux avec leur cousine moche :
Dans ce monde qui vient, la petite Feriel aura un petit voile tout mignon qui ne pourra pourtant pas voiler l'innocence dans ses yeux :
Et elle aura pour unique jouet une Barbie hallal, agréé par une assemblée de barbus et passée sous le détecteur de substances porcines :
Voilà ce qui nous attend. Voilà le sable qui nous envahit en silence.
Au moment où d'irréductibles laïques lançaient une campagne "contre" le voile et "pour" sa suppression, certains autres constituaient des fichiers, des listes nominative d'ennemis du hidjab (et donc de l'islam). Ces activistes publient ces listes sur internet. Mais cela n'émeut personne. Désigner par son nom et prénom un directeur de collège qui a eu la maladresse de renvoyer une fille voilée est devenu monnaie courante. Il ne manque plus que donner son adresse, et décréter quelques fatwas relatives à son droit de rester en vie ou pas. Bienvenue dans le Royaume des Sables.
Nous nous réveillerons un jour, entourés de sable, incapables de respirer. Il sera trop tard.
15 commentaires:
Une tristesse m'a envahie en lisant ton post mani,
du sable ?? !!! non, du sang, des larmes, et non seulement de ceux qui sont sur cette liste, ou ces listes, des ennemis de ce "islam" ...
peu importe, je suis vraiment triste car je sais que ce que tu dis est vrai,
Faut-il finalement avoir le courage de dire NON ou pour rester dans le politiquement correct il suffit de repousser l'échéance de la désertification totale ?
avons-nous autre chose que des mots ?
C'est très touchant mani ce que tu a écrit la, J'ai eu une boule dans la gorge, les larmes aux yeux tellement c'était très émouvant
Certes tu sait bien raconter les choses d'une façon particulièrement convaincante, Impossible de ne pas frissonner en lisant tes récits (de peur ou de joie tout dépend de quelle coté on se trouve lol) mais ta présentation des choses est terriblement réductrice et je dirais même dieu merci (comprendre hamdoullah) que votre observation est une illusion
Vous prônez un sentiment de peur totalement superficielle et injustifié et du coup vous tombez dans un sentimentalisme larmoyant et un misérabilisme excessif et irritant.
Mes amitiés
Le sable qui envahit c'est exactement ça K. Khayati en a parlé il y a quelques temps mais son diagnostique est tombé tard. La société est tombée dans une zone de sable mouvant qui la paralyse, asphyxie avant de l'engloutir.
Au même temps qu'attendons nous d'autre provenant d'un désert qui ne produit que du pétrole ? à part du sable et de la pollution ?
"rabbi y7assin el3aqba !"
Je suis content de compter Achour et 3amrouch parmi mes lecteurs !
@ Achour : je crois que nous n'avons rien d'autres que les mots, effectivement. C'est pour cela qu'il faut les utiliser pour exprimer ce qui nous tourmente, avant qu'il ne soit trop tard.
@ 3amrouch : ce n'est pas la première fois qu'on me taxe de sentimentalisme. On m'a déjà dit que je sombre vite dans le sensationnalisme. Pas grave, puisque c'est dans l'air du temps. J'ose espérer que ce sensationnalisme là pousse à réfléchir, pas comme celui qu'on voit à la télé dans des émissions de merde.
Je retiens les compliments que tu me fais, et ça me fait réellement plaisir. Merci.
Mes amitiés aussi.
@ Sosso : l'expression est effectivement emprunté à Khmaïes Khayati, j'aurais peut-être dû le préciser.
C'est vraiment triste tout ça, surtout pour un pays comme le nôtre.
BravoMani. Tu écris parfaitement bien et tu expliques exactement ma pensée. Merci.
Oui, il y a la force des mots mais aussi celle de l'exemple. Il faut se battre pour que le droit à la différence, la tolérance fassent partie des valeurs premières de chaque citoyen(ne) quelle que soit sa conviction religieuse ou politique.
Je comprends ton appréhension et partage ta crainte devant cet obscurantisme envahissant et ton engagement à ne pas se laisser faire mais, car il y a toujours un mais :
Il nous a été donné de constater en temps que militant de droit de l’homme, de plaintes de certaines voilées, ayant passées l’année à fréquenter leurs établissements, écoles, lycées ou fac ou autres, et le jour des exam., un des responsables zélé, leurs interdits l’accès. Une forme de punition dictée par un obscure délateur de la cellule, ou du poste du coin.
Ici il y a deux remarques à faire :
La première est que le droit à tous de s’habiller à sa manière est aliénable au point qu’il n’est consigné nul part tellement il est trivial, donc il y a lieu de s’indigner de cette ségrégation basée sur l’habillement.
Deux, celui qui commet de tel geste est assimilable au tortionnaire qui punisse en les maltraitant celui qui porte des idées non « conformes », donc il y a lieu ici de le montrer du doigt et le nommer.
Ce ci dit, j’ai aimé ton billet.
khanouff
http://tnkhanouff.hautetfort.com/
Ce sable vous envahit car vos idees et principes ne sont que des cadavres pouries incitant au bassesse animal ....vous presentez l autre face de l extremisme....
Salut Mani,
Rien d'exagéré dans ton article, tout relève de la bonne intuition et de la bonne analyse! A la question "que faire ?" il existe comme réponse quelque chose qu'on apelle la Résistance. Les fascismes, fussent-ils théocratiques, ne sont pas des fatalités. Et surtout, nous avons de beaux exemples devant nous : la Turquie du XIXème siècle a vu s'affronter obscurantistes et modernistes, avec ceci que les Sultans ont souvent pris le parti du progrès. Pas très loin, à côté, nous avons l'exemple admirable des démocrates et des femmes algériennes : journalistes et écrivains qui ont osé bravé la terreur, femmes et autres citoyens qui sont sortis manifester massivement dans la rue, intellectuels qui ont payé leurs écrits et leurs position publique en faveur de la liberté de leur vie. Quand les choses ont empiré, dans un contexte de crime contre l'humanité, de peur et de terrorisme théocratique aggravé répandus par les nervis islamistes, ce sont les citoyens du village Igoujdal (devenu symbole national) qui ont décidé de renverser la vapeur en organisant le premier comité de résistance populaire armée contre les attaques des fanatiques de la Dawla islamiyya des maquis voisins, le 31 juillet 1994. Le mouvement a pris de l'ampleur et la peur a changé de camp à partir de ce moment. Mais biensur, la Tunisie n'en est pas encore là, même si rien n'exclut une dégringolade. J'espère que la bataille se fera exclusivement par les mots, les idées et la politique.
Je promets de publier à l'intention du lectorat tunisien sur mon blog une histoire de l'islamisme algérien, qui a commencé par les associations de bienfaisance, les exhortations dans la rue (wa'dh, irchâd) et qui a fini par les crimes contre l'humanité et la défaite militaire. Un(e) femme/homme cultivé(e) ne peut en effet pas être indifférent(e) à ce qui se passe chez son voisin ;-)
tu ne chomes pas! :)
sujet aussi brulant que l'air que l'on respire
tu as l'art de raconter etdésolée de l'avoir découvert un peu tard, ce texte
il n'y a que les mots pour ne pas nous ensabler
Mani, penser que la réislamisation ( pour faire court) des comportements en Tunisie est due aux chaines financées par des emirs du golfe reveint à infantiliser le peuple que tu défends.
La laicité est un acquis ( au sens que ce n'est pas inné), ça ne va pas de soi .... et donc ça peut se perdre/ transformer .....
Les gens ont tout à fait le droit de garder la barbe de la tailler de la raser, de mettre le voile, le nikab de se beigner seins nus ou avec une combinaison de cosmonaute .....
Tu veux la liberté de s'exprimer pour les laics? concede la liberté de s'habiller pour les croyants ....
@ Triple.blog : tiens tu es aussi ressuscité toi ? comment ca vont les morts dans l'au-delà blogosphérique ?
Le peuple (que je défends ou pas, là n'est pas la question) est déjà infantilisé par le régime autoritaire, par les valeurs de consommation et par les feuilletons égyptiens et mexicains.
Il y a un truc que tu comprends pas : je ne conteste pas la liberté des gens à s'habiller comme ils veulent. Mais je ne me prive pas de critiquer leur choix.
Mani, en quoi une laicité imposée à un peuple ( le peuple tunisien) qui n'en veut pas est elle une brillante idée ??
Les deux pays emblématiques de la laicité ( turquie, france) se retrouvent avec des islamistes "modérés" au pouvoir pour l'un et des gynécos battus, des ecoles confessionnelles et des cantines casher pour l'autre.
La laicité est un leurre, elle va à l'encontre de la volonté des peuples.
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